"Vous voulez les pauvres secourus - je veux la misère abolie"
Victor HUGO.

vendredi 29 juillet 2011

L'approximative couverture médiatique de la "famine dans la corne de l'Afrique".


Au moment où ces lignes sont écrites, des détails sur la situation nutritionnelle dans la corne de l'Afrique sont encore en train d'émerger, mais alors que l'ampleur et/ou la gravité du phénomène de stress alimentaire que connait la région ne sont pas encore très clairs, il est surprenant d'observer le traitement médiatique qui en est fait. 

D'innombrables « experts » en géopolitique faisaient la queue pour nous dire, après que l'ONU ait officiellement décrété l'état de famine, le mercredi 20 juillet dans deux régions de Somalie, que la Corne de l’Afrique dans son ensemble connaissait une crise effroyable.

Le 26 juillet dans le journal Les Echos, François Vidal nous disait ainsi: « La communauté internationale se réveille enfin. Elle a décidé de se mobiliser pour lutter contre la famine qui frappe la Corne de l’Afrique ».Pour ensuite nous expliquer que la communauté internationale peine toujours à se mobiliser contre la sécheresse en Afrique de l'Est.

Avant tout, rappelons que la sécheresse est un état normal, ou passager, du sol et/ou d'un environnement correspondant à un déficit pluviométrique, et que c'est contre les conséquences de ce phénomène sur les populations que les agences  humanitaires luttent et non pas contre le phénomène lui même.  

Par ailleurs il me semble extrêmement important d’introduire de la spécificité dans les constats qui sont faits. Si le phénomène climatique est similaire dans la région – encore faudrait il rappeler qu’il existe des spécificités régionales[1] - tous les pays n’ont certainement pas les mêmes capacités de réactions ou d’adaptation. Un distinguo qui n’a pas empêché ces experts d’exporter la famine à  la région dans son ensemble.

Philippe Ridet, titrait ainsi dans le journal Le Monde  « Famine en Afrique : l'aide internationale se fait attendre » aussi ici c’est l’ensemble du contiennent qui est maintenant affiché à la même enseigne, et bien que son article soit plus détaillé la confusion est installée. De même, une rapide recherche dans Google avec divers mots clés nous ramène également systématiquement sur le «Afrique Famine»  d’action contre la faim…

Kenya, Ethiopie, Somalie, ne sont certainement pas à mettre à la même affiche. Il est aujourd’hui encore difficile de travailler avec des données chiffrées claires et collectées selon une méthodologie fiable, étant donné la situation géopolitique sur place. Pourtant, tous ces « spécialistes » reprennent à leur compte, et sans chercher à les comprendre ou à les analyser, les chiffres des Nations unies.

La production et la diffusion de chiffres n’est certainement pas pourtant quelque chose d’anodin. Les ONG et les Organisations Internationales, au fur et à mesure que leurs expertises ont grandies, sont devenues des producteurs de ces chiffres. Or ces donnés ont pour fonction, comprenons le bien, au delà de préoccupations opérationnelles, d’inscrire le problème décrit à l’intérieur des agendas politiques, comme nous le rappelait Rony Brauman, l’ancien président de MSF[2] 

Il nous rappelle que déjà en 1992 les données produites par les ONG avaient été réutilisées avec 6 mois de retard pour convaincre le conseil de sécurité des Nations unies  de faire de la Somalie le laboratoire des interventions armées de maintien de la paix pour une ONU désireuse de démontrer sa capacité d’intervention.[3] Loin de moi l’idée de chercher à établir un parallèle entre ces deux périodes ou de chercher minimiser la nécessité d’une intervention mais il me semble important d’insister sur le fait que l’utilisation de ces chiffres est un paramètre sensible et qu’il faut y apporter une lecture critique.   

Fewsnet[4] diffuse des résultats d’enquête, dont la méthodologie semble sérieuse et qui nous s’ils nous indiquent que la situation y est très préoccupante en Somalie nous permet d’introduire de simple nuances. Les perspectives à moyens termes pour le Kenya, Djibouti et l’Ethiopie sont encourageantes et pourraient descendre sous les seuils d’alerte dans ces pays pour octobre. Sans chercher à minimiser l’ampleur de la situation et la gravité de l’état nutritionnel et de santé de certaines populations, il me semble toutefois important de différencier les situations.  

Il est d’autre part important de considérer que dans ces pays, toutes les populations ne sont pas affectées de la même manière, et toute la population ne paye pas le prix du déficit alimentaire national. Celui-ci touche généralement en priorité les populations politiquement et économiquement marginalisée. Au Kenya par exemple, les populations locales ne semblent pas affectées de la même manière que les réfugiés somaliens regroupés dans les camps, et il n’est pas clair aujourd’hui d’ailleurs si l’état nutritionnel de ces réfugiés est à l’origine de leur déplacement ou le résultat de la situation qu’ils rencontrent dans ces camps.

Mais plutôt que de s’intéresser à distinguer la complexité de la situation les commentateurs préfèrent pointer du doigt les difficultés du système de l’aide et l’incapacité de la communauté internationale à prévenir ces situations. 
Evoquer leur incapacité à prévenir de telles tragédies en mettant en exergue la multiplication des épisodes de sécheresse à venir et les effets du changement climatique semble relever d’une double logique. Dépeindre la région comme un espace écologique extrêmement fragile et périodiquement soumis à la disette en pointant du doit les faibles précipitations et en préconisant l’adaptation au changement climatique ne sert pas uniquement à rendre compte de la crise mais également à rendre acceptable et compréhensible les morts et les savants que l’on déplore[5]. C’est une manière commode d’éviter de prendre en compte les dynamiques politiques plus globale responsables de l’état de santé des populations.

Pourtant  ne regarder la situation en Somalie que sous l’œil  de la crise alimentaire semble simpliste et potentiellement dangereux. Le lien entre la crise et les désordres naturels semble si clair qu’on tend à oublier que cette famine intervient dans un contexte de conflit enkysté depuis 25 ans, chargé des complexités locales ; et « la question alimentaire y constitue un enjeu stratégique de pouvoir pour certains groupes ou pays [et] la résolution de la crise alimentaire passe donc par la résolution des conflits », assure Philippe Hugon[6]. Sans préjuger des solutions permettant une résolution de la « crise alimentaire » il est important de prendre en compte que les actions entreprises par les différents acteurs humanitaires ne seront pas sans conséquences. Chacune des distributions vont par exemple entraîner des déplacements de populations, enjeux important pour les autorités locales.

Frédéric Encel lors de La chronique internationale de le jeudi 21 juillet, sur France Inter titrait lui aussi «Famine dans la Corne de l’Afrique» englobant avec les deux provinces du sud somalien, là encore et sans discernement, l’Ethiopie, le Kenya l’Ouganda et Djibouti, mais en géopolitologue il nous rappelait cette fois que la famine est presque toujours une question politique, bien. Attardons nous cependant sur les deux situations qu’il décrit. Il s’agit pour lui soit d’une situation où l’on affame délibérément une population, - et il prend pour exemple les Ibos au Biafra, (rappelons cependant qu’il n’y avait pas eu de famine en Biafra, mais qu’une utilisation des cet argumentaire avait été faite à dessin) -  Soit parce qu’on empêche les humanitaires de parvenir sur zone. En 1991 déjà, l’opération restaure Hope mandatée pas l’ONU avait tenté d’ouvrir un corridor humanitaire, nous indique t’il par ailleurs. D’après lui, 20 ans plus tard, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Si l’on peut s’interroger sur les approximations de ces comparaisons on doit surtout s’interroger sur le sens à donner à ces comparassions et ces imprécisions.

Car si  Pascal Boniface dénonce le manque d’objectivité et énoncé les mensonges de certains intellectuels médiatiques, intellectuels parmi lesquels figure Encel [7], il faut surtout comprendre la mobilisation des savants et des experts comme servant à imposer un sens ou un diagnostique afin de défendre un agenda politique ou des pratiques d’interventions spécifiques. Leur savoir sont sélectionnés retenus ou disqualifiés, moins en fonction de leur capacité d’éclairer les décideurs qu’à légitimer les agendas politiques de ces derniers[8] et nous devons retenir que les crises n’existent pas sans les mobilisations et les discours qui leurs donnent sens et forme[9].  


[1] Un gradient pluviométrique et topographique dans la région crée de fortes disparités pluviométriques d’une région à l’autre, parfois de manière très locale. Les pluviométries à l’ouest de l’Ethiopie sont ainsi extrêmement différente des celles de l’est.
[2] « La médecine humanitaire », Rony Brauman, Que sais-je, PUF, 2009
[3] Pour plus d’informations il nous renvoie à la lecture de : « Les dégâts d’une improvisation », Roland Marchal in Marie Claude Smouth (dir.) L’ONU et la guerre. La diplomatie en Kaki, Paris, Ed Complexe,  1994.
[5] Voir à ce sujet les travaux de Xavier Crombé et Jean-Hervé Jéséquel, "Niger 2005, une catastrophe si naturelle", les terrains du siècle, Karthala , 2007.
[6] Directeur de recherches, spécialiste de l'Afrique à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
[7]  Pascal Boniface, « Les intellectuels faussaires », Etd. Jean-Claude Gawsewitch, 2011, p. 151-163
[8] Voir à ce sujet les travaux de Xavier Crombé et Jean-Hervé Jéséquel, Niger 2005, une catastrophe si naturelle, les terrains du siècle Karthala , 2007.
[9] Ibid.

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