"Vous voulez les pauvres secourus - je veux la misère abolie"
Victor HUGO.

lundi 6 juin 2011

Des frappes par hélicoptères en Lybie ou la question du Jus ad Bellum/Jus in Bello.


Alors que l'Otan - qui intervient sur mandat du conseil de sécurité des Nations-unies - annonçait l'extension de sa mission en Libye pour 90 jours supplémentaires, nous apprenions que près de deux mois après le début de son intervention, et pour la première fois, des hélicoptères de combats venaient de prendre part aux hostilités contre le régime de Kadhafi. Liam Fox, le secrétaire à la défense britannique, déclarait, à l'occasion d'une conférence à Singapour, qu'il s'agit pour lui d'une évolution logique de l'intervention de l'Otan en Libye, et qu'il était important de montrer une volonté d'utiliser l'ensemble des moyens à disposition pour mettre à mal le système de commande et de contrôle de Kadhafi. 

Mais, alors que Monsieur Fox se montre prompte à justifier cette évolution des formes de combats sur des considérations militaires; et alors que la Russie s'inquiète d'un possible dérapage vers une opération terrestre qu'elle qualifie de "déplorable", soulevant la question du droit de faire la guerre, on constate que ce sont ici des craintes liées à l'implication des parties dans le conflit qui régissent le débat sur les moyens utilisés dans la guerre, et non des arguments visant à la protection des populations sur place. 

Liam Fox, toujours sur des considérations militaires, déclarait, que cette nouvelle approche permettra d'avoir un meilleur accès aux cibles adverses. Un déclaration qui souligne cependant que les opérations aériennes de l'Otan, conduitent jusqu'à présent à plus de 3 miles (5km) d'altitude ne disposaient pas, malgré les appareillages électroniques des avions de l'Otan, de la meilleur précision possible, mettant ainsi potentiellement en danger la vie des civils sur le terrain. Si peu de cas de "dommages collatéraux" ont été mis en évidence à l'occasion de ce conflit, cette stratégie d'intervention arienne vient faire écho à l'intervention de l'Otan au Kosovo en 1999. 

A l'époque l'organisation atlantique avait conduit une intervention militaire de quatre mois contre l'armée Serbe en réponse aux exactions commises contre les civils albanais. L'organisation avait, là aussi, pris une décision sur les moyens utilisés dans la guerre en décidant d'une intervention exclusivement aérienne et conduite à plus de 3 miles d'altitudes afin de mettre ses pilotes à l'abris de toutes ripostes et d'éviter les pertes dans son camp. Pourtant ce sont près de 500 civils qui ont trouvé la mort dans ces frappes aériennes-1 qui ne permettaient pas une distinction optimale entre les combattants des civils. Il s'agit néanmoins là de principes fondamentaux du "droit dans la guerre" (le jus in bello), celui de la distinction entre combattants et non-combattants et de la proportionnalité qui impose de prendre toutes les mesures possibles dans le choix des moyens et méthodes de guerre pour protéger les civils. Il a été établi par la suite, qu'une intervention terrestre, bien que potentiellement plus dangereuse pour les forces de l'Otan, aurait permis une meilleure application du principe de distinction et épargné plus de biens, d'infrastructures et de vies civils-2. Mais l'Otan, en Libye aujourd'hui, comme en 1999 au Kosovo, semble éprouver des difficultés à s'accorder sur les moyens et méthodes de guerre à utiliser, en raison des difficultés à établir un consensus supranational d'une part mais également en raison de l'opposition croissante des opinions publiques nationales aux opérations militaires susceptibles d'encourir des pertes "amis".  

Sans se prononcer sur la pertinence de l'intervention de l'Otan en Libye, notons qu'elle intervient sur décision du conseil de sécurité des Nations-unies, et donc en conformité avec le droit qui gouverne le recourt à la force-3 : le Jus ad Bellum,  mais la question est de savoir si elle s'effectue en conformité avec le Jus in Bello
Le droit international humanitaire (DIH), en effet, part d'un principe de base très clair-4, celui de la distinction entre le Jus in Bello et le Jus ad Bellum. Le DIH concerne le droit dans la guerre, le Jus in Bello, et s'affranchit de toutes considérations sur la légalité ou non de faire la guerre (Jus ad Bellum). Il établit ainsi une distinction claire entre ces deux droits afin que le droit dans la guerre, s'applique à toutes les parties au conflit, quelque soit la légitimité du conflit et afin qu'aucun des combattants n'utilise ce prétexte pour s'affranchir de respecter le droit humanitaire. Une distinction que le DIH à chercher à préserver pour prévenir les souffrances humaines.

Mais si la légitimité d'un conflit ne peut/ ne doit pas influencer les méthodes utilisées dans la guerre, la question peut-elle être posée en termes inverses: Une application disproportionnée du Jus in Bello peut-elle à son tour constituer un test sur la conformité d'une interventions militaire vis-à-vis du Jus ad Bellum? En d'autres termes, l'utilisation de méthodes de guerres non conforment au droit humanitaire peut-elle influencer la légalité d'un conflit? C'est en substance l'idée que présente certains auteurs-5, pour qui un Etat ne peut avoir recours à la force dans la simple mesure du Jus ad Bellum si le principe de proportionnalité du Jus in Bello n'est pas respecté. 

Néanmoins, poussons la réflexion un peu plus loin et supposons maintenant qu'une intervention militaire d'un pays ou d'une coalition avec avec une politique du "zéro perte ami" soit la seule option possible pour arrêter un génocide ou une violations des droits humains comparable. C'est la question que soulève Robert Sloane, professeur associé de droit à l'université de Columbia-6. 
Se retrouvant en violation avec le Jus in Bello, entraînant la mort et de graves blessures parmi les populations civiles, des déplacements forcés ainsi que potentiellement l'ensemble des souffrances qui accompagnent un conflit, cette campagne pourrait-elle être pour autant autorisée? Doit-on envisager de nuancer le principe d'indépendance du Jus in Bello vis-à-vis du Jus ad bellum

Il semble que parfois les valeurs qui supportent cette distinction entre les deux droits de manière à  humaniser les conflits peuvent contenir en elles-mêmes les limites de cette distinction et que, plus qu'un fin en soit, cette distinction ne doit être qu'un moyen au service d'un principe plus grand, celui d'humanité. Un principe qu'il est important que l'Otan s'attache à respecter. 


1- TPIY: Rapport final du Comité chargé d’examiner la campagne de bombardements de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie
2- Tania Voon, Pointing the finger: Civilian Casualties of NATO Bombing in the Kosovo Conflict, American University Intramural Law Review 1083, (2001).
3- La Charte des Nations Unies interdit le recours à la force dans les rapports internationaux, à l'exception de l'action coercitive collective prévue au Chapitre VII et du droit de légitime défense individuelle ou collective réservé par l'article 51. 
4- "les dispositions des Conventions de Genève du 12 août 1949 et du présent Protocole doivent être pleinement appliquées en toutes circonstances à toutes les personnes protégées par ces instruments, sans aucune distinction défavorable fondée sur la nature ou l'origine du conflit armé ou sur les causes soutenues par les Parties au conflit, ou attribuées à celles-ci” Protocole I, alinéa 5 du Préambule.  Aux termes de l'article 31, alinéa 2, de la Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, le préambule est une partie intégrante du traité.
5- E. Cannizzaro – Contextualisation de la proportionnalité : jus ad bellum et jus in bello dans la guerre du Liban, REVUE INTERNATIONALE de la Croix-Rouge, Volume 88 Sélection française 2006.
6- Robert Sloane, The cost of conflation: preserving the dualism of jus ad bellum and jus in bello in the contemporary law of war, Volume 34 of the Yale Journal of International Law, Boston university school of law working paper n°08-14, 12/09/2008.

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