"Vous voulez les pauvres secourus - je veux la misère abolie"
Victor HUGO.

dimanche 13 février 2011

Médecins Sans Frontières-WikiLeaks : mêmes méthodes, même combat ?


Voici la question qui ouvrait la réflexion de Jean-Christophe Ruffin, 
dans le journal Le Monde 1, sous le titre Wikileaks ou la troisième révolte. Pour lui, il existe une parenté, voir une filiation entre les deux démarches, "si les méthodes sont nouvelles, les motivations, elles, restent classiques et placent cette nouvelle forme d'action dans la continuité de l'histoire de la révolte citoyenne, commencée quarante ans plus tôt..." 

Il englobe en effet, et c'est l'objet de sa réflexion, l'ensemble des mouvements citoyens, de Médecins Sans Frontières à Attac, en passant par Greenpeace, qu'il tente de classifier, et qui composent, pour lui, l'évolution d'une histoire, unique des "contestations citoyennes". Une hypothèse originale.  


Il est cependant, et avant toute autre chose, surprenant de constater dans ce texte de Monsieur Ruffin, académicien français et bien placé pour connaître l'importance du sens des mots, la fréquence avec laquelle les termes "révoltes citoyennes" viennent régulièrement remplacer ceux d' "initiatives citoyennes" - une  manière pour lui de mettre en avant le coté contestataire de ces mouvements, point commun selon lui, de tous les "initiatives citoyennes". 
Pourtant "Révolte" est un mot lourd de sens. D'abord il prête à confusion. S'il caractérise un refus de la règle sociale établie 2, ce qui correspond effectivement à une partie des initiatives qu'il mentionne - et bien qu'elles s'opposent à des règles sociales différentes -, ce terme fait plus généralement référence à un rejet de l'autorité politique existante, et là, elles sont bien moins nombreuses à s'inscrire dans ce champs. Par ailleurs le Littré, comme le Robert, nous rappellent le caractère violent et hostile d'une telle opposition. Malgré les différentes formes que peut recouvrir la violence, toutes ces initiatives citoyennes ne s'inscrivent pas dans cette distinction et l'unité mentionnée ne semble pas si évidente. Il existe une différence de taille entre s'opposer au système en place et chercher à en compenser les lacunes.  

Afin  de mettre en évidence cette violence du processus pourtant, il prend pour exemple l'origine de cette histoire unique supposée, et cite la critique "radicale" du système caritatif d'alors (incarné par la Croix-Rouge) sur laquelle s'est construit le mouvement "sans-frontièriste" qui pour lui constitue son point de départ. Mais il s'agit là d'une vision a posteriori d'un mouvement qui à chercher pendant plusieurs années à se construire au sein même de la Croix-Rouge et qui, loin d'en faire la critique, a continué à en faire la promotion3

Cette notion de révolte et de contestation dans le discours de Jean-Christophe Rufin s'explique en réalité par la philosophie qu'il prête à ce mouvement unique qui, pour lui, serait le fuit de "l'âge des droits de l'Homme". 
Historiquement il est vrai, les droits de l'Hommes renvoient à une tradition de combats politiques du citoyen contre l'Etat. Néanmoins, de nouvelles générations de droits de l'Hommes se sont progressivement installées, caractérisées notamment par l'apparition des droits créances, qui supposent à l'inverse, une intervention active de l'Etat pour leurs mises en œuvre et entraînent une mutation de penser qui interdit de voir les droit de l'Homme exclusivement comme un contrepoids revendiqués contre l'Etat. Aussi il devient difficile d'associer à cette supposée histoire commune, fondé sur des revendications droit de l'hommiste, le caractère révolté et contestataire vis-à-vis de l'Etat que Jean-Christophe Ruffin lui prête pourtant sur la base de cet argumentaire. Nous sommes bien loin de la révolte évoquée. 

Mais le plus surprenant dans cette démonstration reste finalement la nouvelle typologie qu'il développe pour appuyer l'idée d'un fondement commun à l'ensemble des mouvements citoyens. Une typologie générationnelle, à l'instar de celle développée pour caractériser les Droits humains 4, selon laquelle les uns descendraient des autres...

On comprend vite que la logique pourtant générationnelle n'est pas chronologique quand on découvre que Médecins Sans Frontières et Greenpeace, qui ont pourtant toute les deux vues le jour en 1971, font respectivement partie de la première et deuxième génération proposées. On comprend mois alors la logique thématique - l'autre approche qu'il propose - quand on retrouve, par exemple, l'International Crisis Group (ICG) dans les mouvements de la deuxième génération, qu'il présente comme la génération des mouvements s'affranchissant des règles de droit ou des contraintes politiques. Gareth Evan, président de  l'ICG étant pourtant l'un des principaux promoteurs de la "Responsabilité de protéger", un concept éminemment emprunt de contraintes politiques et de règles de droit, au sein duquel il a longtemps chercher à faire jouer à 'ICG un rôle central. 

Ni l'argumentaire d'une unité de logique contestataire, ni celui d'une éventuelle généalogie ne viennent vraiment convaincre dans cette approche hypothético-déductive, où il reste facile de trouver des éléments qui viennent appuyer une théorie développée à priori. On retrouve surtout à travers cette réflexion des craintes vis-à-vis du pouvoir des citoyens. Pouvoir qu'il qualifie de "cinquième pouvoir des démocratie", et à qui il trouve un visage inquiétant avec Wikileaks - une facette qui serait bien marginale quand bien même on adhérerait à l'idée d'un tout - et dont la volonté d'encadrement s'affiche lorsqu'il met en avant le problème des ses limites: “Quand la révolte citoyenne s'applique à un Etat totalitaire, sa légitimité est difficilement contestable, quelle que soit la forme que prend l'action. Il en va tout autrement dans les Etats démocratiques."  à l'opposé de l’idée tocquevillienne où vie associative et vitalité démocratique sont étroitement reliées...

Je ne sais finalement pas si cette descendance des initiatives citoyenne se défend, ni même leur unité sur une principe contestataire. Je retiendrai simplement que Jean-Christophe Ruffin ne répond qu'à peine à la problématique de son exposé: "Médecins Sans Frontières -WikiLeaks : mêmes méthodes, même combat ?" Pour ce qui est des méthodes les uns font appelle à la presse et aux services de renseignements, les autres au savoir faire de professionnels médicaux pour travail de soins à des personnes malades ou en souffrance. Quant à ce qui est du combats MSF comme beaucoup d'ONG n'ont pas la guerre pour ennemi comme le pense monsieur Ruffin, elles ont choisi de s'inscrire dans la dynamique du phénomène pour en surveiller et en limiter les effets plutôt que de le condamner, sans plus d'efficacité que la dynamique propre de l'utopie.


1. Le Monde, 20 décembre 2010. 
2. Dictionnaire le Robert, 2003 - Le Nouveau Petit Robert - Josette Rey-Debove et Alain Rey - PARIS
3. Médecins Sans Frontières, la Bibliographie - Anne Vallaeys - FAYARR.  2004 - Page 76
4. Certains courants de pensés affirment que même les libertés individuelles et politiques - qui caractérisent la 1ère génération de droits de l'Homme - impliquerait cette investissement de l'Etat et rejette une telle classification. 

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